Désespoir, Delphine Gay de Girardin
Déjà mon cœur me quitte, et la mort me réclame, Et je ne la crains pas : pourquoi me secourir ? Vers le Ciel qui l’attend laisse voler mon âme. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Dès longtemps, tu le sais, ma vie est douloureuse ; Souvent sur mes chagrins je te vis t’attendrir ; Va, ne me retiens pas pour toi, sois généreuse. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Il est temps d’arrêter mes inutiles heures, L’horizon dépouillé n’a plus rien à m’offrir ; Je n’ai plus rien de moi ; vivante, tu me pleures. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Je ne veux point survivre à mes belles années Fraîches fleurs du printemps que l’été va flétrir, Parures du matin avant le soir fanées. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Je ne veux point survivre à la saison de plaire, Et voir me blonds cheveux de neige se couvrir. Sans enfants à bénir, la vieillesse est amère. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Je ne veux pas survivre à mes chants de poète, Gloire que ton orgueil me faisait tant chérir. Mes yeux sont dessillés, et ma lyre est muette. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Je ne veux pas survivre à mes nobles pensées, Trésors de loyauté qu’il est beau d’acquérir. Le poison peut entrer dans les âmes blessées.. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Il est plus glorieux de tomber généreuse, D’embrasser en partant ceux qui nous font souffrir, De finir sans remords, comme une femme heureuse. Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Ta pieuse douleur ne sera pas sans charmes ; De mes ailes, la nuit, je viendrai te couvrir ; Je veillerai sur toi, j’adoucirai tes larmes ! Oh ! ma sœur, laisse-moi mourir !
Demain, à votre amour quand je serai ravie, Tu trouveras ces vers, mon dernier souvenir, Et ma mère, en lisant les chagrins de ma vie, Me pardonnera de mourir !
Delphine Gay de Girardin (1804-1855).
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