La légende de la cloche, Élie FRÉBAULT
I De mon clocher où perche la cigogne. Ma voix de bronze appelle à la besogne Le travailleur des champs aux premiers feux du jour. Et quand l’ombre descend des montagnes altières, À deux genoux on se met en prières En entendant tinter mon chant d’amour. J’arrête au ciel la foudre avant qu’elle ne frappe. Du voyage ici-bas je marque chaque étape : Je lance dans les airs mes plus joyeux accords Lorsque devant l’autel un couple se présente, Puis, en l’honneur du nouveau-né je chante, Enfin je pleure avec les morts…
Vous dont j’ai chanté la naissance, Hâtez-vous de devenir grands !… Autour du drapeau de la France, Serrez les rangs ! Serrez les rangs !…
II Mais tout à coup éclate un chant de guerre : Un pas pesant a fait trembler la terre. Debout ! On sent la poudre… À l’appel des tambours, L’écho de nos cités répond : Honneur ! Patrie ! Près du foyer désert, la mère prie : Que de vaillants sont partis pour toujours ! On m’arrache au clocher… Dans la fournaise ardente, On me jette… Et mon corps sous la lave brûlante Se tord comme un damné, goutte à goutte se fond. J’étais cloche ; aujourd’hui, sur les champs de bataille, À l’ennemi je crache la mitraille… Mon bronze est devenu canon !…
Vous dont j’ai chanté la naissance, Hâtez-vous de devenir grands !… Autour du drapeau de la France, Serrez les rangs ! Serrez les rangs !
III Longtemps ainsi, je semai le carnage Autour de moi, broyant sur mon passage L’envahisseur maudit. Mais après vingt combats, Il me faut reculer. On s’attelle à ma roue, Puis à travers une sanglante boue, Mes canonniers me traînent de leurs bras, L’ennemi nous atteint, – la lutte recommence : Les miens se font hacher sur moi pour ma défense. Enfin ils m’ont sauvé dans un suprême effort ! Aujourd’hui je repose et j’ai l’âme meurtrie… Mais s’il fallait défendre la patrie, L’airain saurait tonner encor !…
Vous dont j’ai chanté la naissance, Hâtez-vous de devenir grands !… Autour du drapeau de la France, Serrez les rangs ! Serrez les rangs !
Élie FRÉBAULT (XIXe siècle).
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Ah! C’est un beau poème!
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